jeudi 23 juillet 2009

J'ai la grippe H1HA

une broutille avant mon film sur la gay pride que je suis en train de finir.

vendredi 3 juillet 2009

Vincent Ricot

L’autre jour à la terrasse du restaurant à moins de deux dollars dans lequel je mange presque tous les jours et qui fait le coin du grand carrefour de mon quartier, je me surprends à avoir un comportement qui est le signe d’un mimétisme un peu inquiétant, presque d’une métamorphose – donnez-moi votre avis.

A quelques mètres de moi, cinq je dirais, se tiennent debout deux occidentaux cherchant visiblement leurs chemins, au bord de la rue. Le garçon – il y a deux types de mâles occidentaux : le gros et gras australien et le jeune et musclé australien – fait partie du deuxième type, short et t-shirt blanc, mais c’est surtout la fille qui retient mon attention, qui pour tout dire me laisse bouche bée. Et pourtant rien d’extraordinaire en apparence : élancée, une robe verte à pois blancs, fine et coupée au dessus des genoux, des cheveux bruns et lisses et une paire de lunettes de soleil. Elle est indéniablement jolie mais ce qui me laisse pantois précède tout jugement esthétique : c’est une occidentale. Une blanche. Je me surprends à fixer la laiteur de sa peau comme si c’était la première fois, à étudier le contraste avec le vert de sa robe, le noir de ses cheveux. J’ai l’impression de voir un nouveau continent, quelque chose d’inconnu et de fascinant. Je tourne la tête et me rends compte que le couple cambodgien à la même table que moi fait de même, la fixe la bouche ouverte, et du reste je n’avais pas besoin de le vérifier je connais par cœur leur réaction pour en avoir été maintes fois l’objet.

Ce mimétisme ne se fait pas qu’à moitié : un autre sentiment me vient en bouche, celui-là plus proche du jugement que de la sidération. Je n’aurais pu le formuler précisément au moment de la scène, mais maintenant il me paraît évident que le petit dégoût que j’ai ressenti correspondait à ce que je jugeais d’indécent à cette tenue. Les épaules nues, la finesse de la robe qui me donnait l’impression qu’elle pouvait s’envoler au moindre coup de vent, des choses qui semblent des détails mais qu’aucune cambodgienne ne se permettrait, sauf les filles des bars et karaokés, et ceci même si par ailleurs le mini short est lui communément admis et porté.

Le pire – ou le mieux - c’est qu’il n’y a aucune pose de ma part, aucun surjeu. Quand je suis fasciné c’est après avoir ouvert la bouche et abandonné mon assiette pendant une minute que j’en prends conscience. Quand je remarque l’indécence de sa tenue je sens presque poindre le ressentiment que ces blanches se croient tout permis, et l’injustice de cette liberté dont elles jouissent. Quand je vois des gros types en short et t-shirt se balader en sueur le long du quai à touristes, je ne peux m’empêcher (et pourtant j’essaie) de penser au déclin du monde occidental, que le spectacle auquel j’assiste est celui de l’incarnation de son pourrissement.

Vincent arrive ce soir. En pensant à lui j’ai fomenté hier la possibilité de deux semaines à l’occidental, faire la bringue à la mer, visiter Angkor, aller dans des restos classieux, des choses que je me refuse seul ici, le nez dans le guidon de mes projets et les actes en accord avec mon choix initial d’une tentative de totale intégration aux autochtones. Ce choix je ne le regrette jamais, tant il m’a apporté aussi bien dans les relations amicales, le rapport aux gens et la compréhension d’une autre culture et tant je ressors à chaque fois écœuré des messes entre expatriés. Mais si je ne rêve jamais d’un steak saignant avec frites, quand je le vois au menu comme la dernière fois avec Kanitha dans un resto pour étrangers, la fonction souvenir de mon cerveau se met en branle et me rappelle qu’effectivement un steak saignant avec frites ça me manquait, et du reste ça me manque toujours, le steak était trop cuit et je n’avais pas assez d’argent pour les frites.

jeudi 2 juillet 2009

L'indifférence dure cinq mois

Il se passe un truc là. En amour on dit qu’après trois ans nécessairement un truc arrive, généralement sa fin. J’ai jamais pu tester ça - enfin le passage chaud froid si, tant de fois, mais pas à cette échéance - mais s’il existe une règle de ce type pour les relations de voisinage au Cambodge, on pourrait dire qu’après cinq mois un truc arrive, l’intégration c’est un bien grand mot, un début d’intégration disons.

Car avant l’épisode du whisky et des sauterelles grillées dans ma ruelle j’avais croisé le week-end dernier les deux sœurs qui me servent tous les matins un plat de riz au porc grillé pour un peu plus d’un demi dollar, dans un des clubs les plus prisés de la ville (la rencontre, pas le porc grillé). C’est moi qui ai reconnu l’une des deux – la plus grande, celle qui n’a pas ce petit air supérieur qui dit « attention je vends du porc grillé juste parce que c’est le business de mon père mais moi je fais des études » -, elle était trop contente que je lui parle, et comme elle avait un coup dans le nez elle m’a avoué qu’elle m’avait déjà vu trois fois dans ce bar et aussi une fois (la seule fois où j’y suis allé) dans la grande boite de nuit pour jeune khmers (génial, j’y retournerai bien toutes les semaines), et après elle dansait un peu maladroitement en sautillant, le genre de trucs qui me cassent tout d’habitude, et là oui c’était le cas mais là n’est pas le plus important car ça coïncide avec le fait que je ne mange plus seul le matin mon porc grillé mais une fois sur deux avec le gamin qui habite pas trop loin et qui vient étudier dans l’école mitoyenne dont les étudiants constituent l’essentiel de la clientèle des deux sœurs. Comment faire pour changer de style (d’écriture j’entends) ? Je me fatigue moi-même là.

Plusieurs événements ont coïncidé concernant ma vie sociale de paté de maison ces derniers temps, trop pour n’être qu’une coïncidence mais ceci à mon plus grand bonheur. J’ai enfin sympathisé avec les deux sœurs qui me servent tous les matins une assiette de riz au porc grillé, enfin plus avec la grande sœur, l’autre gardant une distance teintée de mépris dont je sais maintenant qu’elle ne veut rien dire. Je les ai croisées dans une boite, la grande titubait un peu, grâce à ça on échange quelques mots maintenant le matin qui ne vont pas plus loin que alors samedi prochain tu vas au riverhouse mais c’est un début et en plus c’est un dialogue plutôt cool. Ensuite je mange un jour sur deux avec un gamin de 10 ans qui est aussi mon voisin et qui me présente timidement (c’est la coutume) ses amis. Il y a aussi ce type qui est l’un des nombreux gardiens à se relayer à l’école d’anglais (en fait il faudrait expliquer l’histoire est assez marrante, comme dans tous les trucs comme ça ils pratiquent un vrai turn over, genre une équipe du soir et une du matin, et sans doute aussi une du week-end que sais-je, donc en tout ils sont pleins mais devant l’école peut-être qu’il devrait y en avoir que deux ou trois, sauf que comme ils habitent souvent loin de Phnom Penh ils dorment tous dans l’école la nuit, et comme la journée ceux qui ne sont pas de garde n’ont rien d’autre à faire, ils restent avec leurs potes gardes qui travaillent, si bien qu’il y a toujours une dizaine de gardes devant l’école à se faire des blagues en uniforme, ce qui est une vision assez étrange au début) et qui, depuis que j’ai mangé à une table mitoyenne de la sienne et ai regardé ses facéties de leader de table avec mon sourire le plus amical, me salue quand nous nous croisons, ce qui est un pas énorme; tout à l’heure j’ai recroisé l’un des mecs qui buvait du whisky qui m’a invité à recommencer, mais il était 14h et je devais filer, mais il a eu toute la franche calinité des relations amicales cambodgiennes avec moi (caresse dans le dos et sourire non forcé) ; enfin ce soir quand je suis rentré, assistant à une scène incongrue qu’il me faudrait raconter mais je ne suis pas sûr d’en avoir le courage, je suis rejoint dans mon réflexe très cambodgien de rester planter des heures à regarder le spectacle de la mort ou de ses sous-formes (voir comment ils se précipitent tous dès qu’il y a un accident de voiture, ils courent carrément et quittent toutes leurs occupations quand il entendent une voiture se scracher) par la jeune fille du karaoké de l’autre côté de la rue mais dont la porte de derrière donne dans ma ruelle. Elle est habillée pour l’occasion, mini jupe et haut rouge et blanc, comme d’habitude me voyant elle pousse un petit cri joyeux presque animal, moi dans ces cas là je sais jamais trop quoi lui répondre, là je lui montre qu’il y a un type à l’intérieur qui a pas l’air d’aller bien, elle le voit et arrête ses gloussements. Mais le temps s’installe, elle est rejointe par une autre fille avec son bébé et un jeune mec, puis c’est au tour des deux sœurs du porc grillé de revenir de chez leur grande sœur et de me demander ce que je regarde, et on se retrouve donc à sept à mater la scène, ce faisant on discute, la jeune fille me tourne autour en me balançant des phrases que je ne comprends pas mais que je devine presque, et j’avoue ne pas être insensible à son charme espiègle et canidé. L’autre fille avec qui j’avais déjà eu quelques mots me pose des questions et moi j’apprends que son fils s’appelle Sky. Bon dis comme ça ça n’a l’air de rien et surtout pas d’une victoire et pourtant je vous assure que pour moi si, cinq mois que j’attends ça, un début de relation avec le monde grouillant qui peuple ma rue, c’est donc ça le mérite au travail, il aura fallu être patient et ne pas abandonner, bon moi le travail les valeurs tout ça hein mais là oui j’y vois une matière de satisfaction, un truc un peu chrétien pourtant du fardeau qu’on a bien porté avant et dont on est maintenant fier - méfions-nous.