dimanche 28 juin 2009

Vivant

Oh je suis super content, là je viens de monter chez moi et d’ôter tous mes vêtements à cause de la chaleur et de l’effet du sous-whisky dont je viens de boire quatre verres, bien avant encore je finalisais le dossier CNC pour mon projet de docu sur le ciné khmer des années 60 puis j’ai passé 3h à arpenter les rues de Phnom Penh pour trouver les 10 cinémas de l’époque qu’il me restait à localiser, mais en revenant chez moi en bas de ma cage d’escalier je recroise la bande de mecs de ma rue qui jouent un peu aux durs ; ma déprime quotidienne consiste à ne pas avoir réussi à me faire accepter par eux, pas en tant que dur bien sûr, juste en tant que co-habitant connu et apprécié, cinq mois que je suis là et je sens toujours leurs regards froids et distants, maladroits et indifférents. Les types sont des petits macs ou gardent les motos dans le coin de la rue ou travaillent pour le club en bas de chez moi, et moi en cinq mois je n’ai pu lier de relations qu’avec Choy mon voisin qui les connaît depuis qu’il est né, les considère comme ses amis mais est complètement différent (lui ne boit pas, ne fume pas, est évidemment vierge et continue ses études bref c’est un bon garçon), avec sa famille, avec le chauffeur de moto qui vient de m’aider pendant 2h à trouver les 10 cinémas restant moyennant moins de 4 dollars, et les enfants qui sont tous intrigués quand ils me voient et rigolent de me voir parler cambodgien. C’est tout. Tous les autres me regardent toujours comme un oiseau bizarre. Moi je les observe souvent, notamment quand je me pose dans la rue avec Choy le soir, quand j’ai trop la flemme de monter chez moi pour finir un montage ou un dossier. Je pense immanquablement à Serbis, c’est la même histoire, des jeunes qui passent tout leur temps ensemble, des putes, des filles de karaoké, de jeunes femmes de ménage, des jeunes macs, des gardiens de parking. Ils passent leur journée et leur soirée dans la rue, pratiquement à ne rien faire qu’attendre, jouer au foot parfois, mater les mêmes clips de karaoké tous les jours. A chaque fois qu’ils me font le coup de l’indifférence et de la distance, je me dis putain j’ai échoué, c’est trop tard là, après cinq mois nos relations n’évolueront plus jamais, et avec ma manie de culpabiliser je me dis c’est ma faute, j’ai mal fait un truc, j’ai dû paraître méprisant, j’ai toujours pensé que c’est au groupe d’aller vers le nouveau mais dans un contexte où l’occidental a un si grand complexe de supériorité et qu’eux en fréquentent tous les jours (leurs clients) c’est moi qui aurait dû faire le premier pas, au moins élaborer une tactique au lieu de penser que tout me tomberait dans la main. D’ailleurs en partant faire la visite des cinémas je les ai croisés une première fois en train de boire dans mon allée, ils m’ont fixé du regard sans un seul sourire comme d’habitude et moi je les ai regardés comme si de rien n’était et ai passé mon chemin, et comme d’habitude deux secondes après je me suis dit mais t’es con juste un bonjour ou un qu’est-ce que vous buvez et on sait jamais tu briseras peut-être la glace, les mêmes réflexions quand les filles de karaoké me voyant parfois de jour dans la même allée me hèlent en me disant qu’elles me trouvent beautiful ou quand Ada quand je rentre après minuit me voit et me demande d’où je viens, je bafouille, souris, réponds maladroitement deux mots puis pars, mais d’où elle vient cette timidité ? (je sais très bien d’où elle vient en fait, de ma plus tendre enfance comme on dit, le Cambodge m’aura appris ça entre autres, rappelé mon intrinsèque timidité). Mais là en revenant et en les recroisant, un peu comme le jour où j’ai parlé à Ada, j’ai pris mon courage à deux mains ou plus exactement je ne me suis pas posé de questions et sachant bien ce que je me reprochais de ne pas faire je l’ai fait, en fait je me suis juste arrêté et les ai regardés d’un air curieux, puis j’ai demandé (il fallait bien que je parle) ce qu’ils buvaient, j’ai pris la bouteille d’un air intéressé, vu que c’était du whisky, et eux ont tout de suite eu l’hospitalité non feinte de nombre de cambodgiens, me proposant un verre, un siège et des sauterelles grillées. Le truc le plus étonnant c’est que c’est le caïd lui-même qui a été le plus attentionné, celui que je croise parfois la nuit en bas de chez moi avec une fille que je n’ai jamais pu identifier - mais de toute évidence ce qui se joue là est une histoire d’amour entre un petit caïd et une pute, se retrouvant à la fin de leurs journées (soit à des heures très tardives) en se cachant presque pour se voir – précisément le type dont je pressentais le plus de haine à mon égard, c’est lui qui me sourit, me sert des verres, me propose une chaise. On est pas encore les meilleurs amis du monde mais voilà un énorme pas de fait, celui du premier contact, impossible après aujourd’hui qu’on se croise sans se saluer, j’attendais ça depuis si longtemps, quelle merde les appréhensions et toutes les frilosités qui vont avec. Après avoir fini la bouteille de whisky Ada est arrivé avec ses deux jeunes sœurs, toutes très apprêtées, et j’ai vu non sans soulagement que le caïd est question sortait avec l’une d’entre elles. On a parlé un peu et très discrètement et rapidement les autres se sont éclipsés pour nous laisser seuls, mais j’ai vite mis fin au suspense en lui disant bon ben tu vas travailler maintenant c’est ça, alors à bientôt, là c’est pas de la timidité mais de la raison : j’ai plus une thune je suis en train de me ruiner, je pense à faire un post niveau de vie depuis plusieurs semaines mais j’ai pas le temps, mais vous ne pouvez pas imaginer comme par exemple un repas à trois dollars maintenant ça me paraît énorme, il y a deux jours j’étais invité à un mariage et comme il est de coutume de donner de l’argent j’ai filé une enveloppe avec 10 dollars dedans, mais 10 dollars c’est ridicule pour un mariage de ce niveau, c’est presque du foutage de gueule, et maintenant j’ai trop peur de ma honte quand je vais recroiser le frère de la mariée (l’enveloppe est à mon nom).

vendredi 5 juin 2009

teaser

en exclu pour vous