vendredi 3 juillet 2009

Vincent Ricot

L’autre jour à la terrasse du restaurant à moins de deux dollars dans lequel je mange presque tous les jours et qui fait le coin du grand carrefour de mon quartier, je me surprends à avoir un comportement qui est le signe d’un mimétisme un peu inquiétant, presque d’une métamorphose – donnez-moi votre avis.

A quelques mètres de moi, cinq je dirais, se tiennent debout deux occidentaux cherchant visiblement leurs chemins, au bord de la rue. Le garçon – il y a deux types de mâles occidentaux : le gros et gras australien et le jeune et musclé australien – fait partie du deuxième type, short et t-shirt blanc, mais c’est surtout la fille qui retient mon attention, qui pour tout dire me laisse bouche bée. Et pourtant rien d’extraordinaire en apparence : élancée, une robe verte à pois blancs, fine et coupée au dessus des genoux, des cheveux bruns et lisses et une paire de lunettes de soleil. Elle est indéniablement jolie mais ce qui me laisse pantois précède tout jugement esthétique : c’est une occidentale. Une blanche. Je me surprends à fixer la laiteur de sa peau comme si c’était la première fois, à étudier le contraste avec le vert de sa robe, le noir de ses cheveux. J’ai l’impression de voir un nouveau continent, quelque chose d’inconnu et de fascinant. Je tourne la tête et me rends compte que le couple cambodgien à la même table que moi fait de même, la fixe la bouche ouverte, et du reste je n’avais pas besoin de le vérifier je connais par cœur leur réaction pour en avoir été maintes fois l’objet.

Ce mimétisme ne se fait pas qu’à moitié : un autre sentiment me vient en bouche, celui-là plus proche du jugement que de la sidération. Je n’aurais pu le formuler précisément au moment de la scène, mais maintenant il me paraît évident que le petit dégoût que j’ai ressenti correspondait à ce que je jugeais d’indécent à cette tenue. Les épaules nues, la finesse de la robe qui me donnait l’impression qu’elle pouvait s’envoler au moindre coup de vent, des choses qui semblent des détails mais qu’aucune cambodgienne ne se permettrait, sauf les filles des bars et karaokés, et ceci même si par ailleurs le mini short est lui communément admis et porté.

Le pire – ou le mieux - c’est qu’il n’y a aucune pose de ma part, aucun surjeu. Quand je suis fasciné c’est après avoir ouvert la bouche et abandonné mon assiette pendant une minute que j’en prends conscience. Quand je remarque l’indécence de sa tenue je sens presque poindre le ressentiment que ces blanches se croient tout permis, et l’injustice de cette liberté dont elles jouissent. Quand je vois des gros types en short et t-shirt se balader en sueur le long du quai à touristes, je ne peux m’empêcher (et pourtant j’essaie) de penser au déclin du monde occidental, que le spectacle auquel j’assiste est celui de l’incarnation de son pourrissement.

Vincent arrive ce soir. En pensant à lui j’ai fomenté hier la possibilité de deux semaines à l’occidental, faire la bringue à la mer, visiter Angkor, aller dans des restos classieux, des choses que je me refuse seul ici, le nez dans le guidon de mes projets et les actes en accord avec mon choix initial d’une tentative de totale intégration aux autochtones. Ce choix je ne le regrette jamais, tant il m’a apporté aussi bien dans les relations amicales, le rapport aux gens et la compréhension d’une autre culture et tant je ressors à chaque fois écœuré des messes entre expatriés. Mais si je ne rêve jamais d’un steak saignant avec frites, quand je le vois au menu comme la dernière fois avec Kanitha dans un resto pour étrangers, la fonction souvenir de mon cerveau se met en branle et me rappelle qu’effectivement un steak saignant avec frites ça me manquait, et du reste ça me manque toujours, le steak était trop cuit et je n’avais pas assez d’argent pour les frites.

5 commentaires:

  1. meme si je deviens gros et chauve en ton absence, tu continueras à être mon ami ?

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  2. oui si tu portes pas des shorts et des t-shirts Angkor Wat.

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  3. Bon je viens de les jeter à la poubelle moi. T'es content ?

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  4. Superbe post.
    (Signé un gros laid, ni chauve, ni gros et plus australien.)

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  5. charly: si tu jettes aussi ton t shirt moulant noir c est ok.

    lyroniel: non je dirais que tu as un physique atypique, pas forcement laid.

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