jeudi 19 mars 2009

Ainsi que tu me l’as demandé

La dernière fois Daet me propose qu’on se voit (c’est son seul soir de libre de la semaine) et nous convenons d’un rendez-vous dans un bar, sauf que quand je la rejoins elle me prévient qu’elle est avec des amies, pas de problème puisqu’il s’agit de Konkir que je connais bien et – surprise – de Sopheak (qui joue aussi dans le film) que je n’avais pas encore revue, sauf qu’il y a aussi un type, que je reconnais comme étant l’un des deux sales types du bar deux jours avant qui était clairement venus pour Konkir, et avaient même profité de l’absence du patron pour lui filer 10 dollars en échange d’une après-midi de shopping avec elle deux jours après, soit le jour du récit. Et celle-ci de finir par accepter après avoir plusieurs fois protesté, moi assez décontenancé par la situation, et là devant ce bar elle me le présente comme l’un de ses amis. Serrage de mains poli, gêne mutuelle évidente. Gloups.

Samedi après le dernier cours à l’université qui s’est un peu éternisé je croise Ny qui était du cours du matin et qui s’étonne de ma présence. Il me demande si je veux jouer avec eux, moi yes man surtout ici et en ce moment j’acquiesce, et me voilà pour la première fois m’essayant à ce jeu que j’ai souvent observé dans la rue et qui du reste existe en France, ce truc où on forme un cercle et on s’envoie une sorte de balle mais avec des plumes et qui va assez haut si tant est qu’on tape fort dedans. A ma grande surprise je ne suis pas totalement nul, ça ne m’amuse pas tant que ça mais ma satisfaction d’en être est telle que je ne me rends pas compte que la nuit est presque tombée et que nous devons arrêter. Ny, mon bienfaiteur ce soir là, me demande si je veux manger avec eux, de la viande de bœuf, me dit-il en cambodgien. On discute un moment, enfin plus exactement je les écoute car ils ne font plus l’effort de parler anglais, puis les trois seuls qui ne doivent pas rentrer manger avec leurs familles m’emmènent dans un lieu génial où tu fais griller ta viande de bœuf assaisonnée sur une sorte de poêle au gaz au milieu de la table, on s’est goinfré comme des porcs pour moins de trois dollars chacun. Ca ne parlait pas trop à table, ils avaient l’air fatigués par leur semaine, sauf quand j’ai dit les expressions que m’avaient appris Konkir et qui les ont fait s’étouffer de rire tellement ça doit être incongru de voir un étranger parler aussi crument.

Le lendemain je n’ai pas pu aller à la conférence où Ana m’avait invité car j’avais déjà ce truc de prévu depuis longue date et que j’avais quelque peu oublié, un rallye dans la ville toute la journée, une sorte de chasse au trésor par groupes organisée par des français, d’ailleurs il n’y avait que des français. J’étais avec le fils germano-khmer d’une vieille amie de ma mère et ses amis, soit des jeunes de terminale du Lycée Français. La contrainte étant un groupe de cinq, je rencontre Vata et Nippo, deux jeunes khmers parlant le français sans accent, et nous attendons tous qu’Eleonore qui n’a plus de portable se décide à venir, elle dont on sait qu’elle a passé toute la soirée avec Raimondo qui a appris ce même jour qu’il été refusé du MIT, Eleonore qui nous fait presque partir en dernier créant un handicap que du reste nous ne pallierons jamais, Eleonore qui finit par arriver comme une fleur prétextant que son père – haut diplomate qui est persuadé que je lui ai posé un lapin au rendez-vous qu’il avait bien daigné m’accorder cet été alors que c’était de la faute de son assistante, mais c’est une autre histoire – croyait que c’était à 8h30, Eleonore qui arrive avec son sweat jaune sur les épaules et son débardeur blanc, sa petite moue en guise d’excuse, et qui réveillera un goût pour la jeunesse quelque peu éteint depuis mon arrivée – contexte local un peu sensible sur la question oblige. N’y tenant pas évidemment je les ai tous conviés à la fête de samedi, ainsi que leurs amis les jumeaux Antoine et Camille, Raimondo, son frère et Tim. Nippo a eu une réaction d’enfant qui m’a ravit, s’écriant le sourire aux lèvres, alors pourtant que mon affirmation valait évidemment pour tous, « j’peux venir ? j’peux venir ? », Eleonore quant à elle a profité d’un moment où nous étions tous les deux pour me glisser qu’elle était « trop contente » que je fasse une fête, que ça allait changer de leurs bars habituels. Aujourd’hui d’ailleurs je l’ai croisée au CDI de leur Lycée après ma classe et je crois que c’est moi qui étais le plus gêné des deux.

Hier attendant Daet j’ai passé près d’une demi-heure dans ma rue sous le soleil, regardant les gens – eux ne se privant pas de faire de même pour moi – mais sans vraiment parvenir à leur parler (dans mon voisinage pour l’instant il n’y a guère que la famille de la petite épicerie juste en face, les quelques motodops et le monsieur de la famille en bas avec qui nous nous saluons cordialement, en attendant mieux). Daet finit par arriver non pas accompagnée de Konkir (j’ai compris qu’on se verrait difficilement que tous les deux, ça me convient totalement du reste) mais de sa jeune sœur, Rose, que j’avais déjà rencontrée dans le bar avec le sale type. Nous partons à trois sur la moto en quête des meubles dont j’ai besoin pour finir mon emménagement et que Daet a proposé de chercher avec moi. Pendant que nous marchandons une table en métal toute moisie pour faire office de bureau et une table basse pour les invités, Rose va s’acheter du jus de canne qu’on lui sert dans un sac en plastique fermé et qu’elle boit à la paille l’œil malicieux. Daet m’explique que Rose est intéressée pour faire le ménage chez moi ainsi que j’en avais exprimé le besoin, le jeudi idéalement pour elle car c’est son day-off dans le book shop dans lequel elle travaille (elle doit avoir 17 ans). Le jeudi ne m’arrange pas c’est précisément le jour de la semaine où je ne suis pas là de la journée.

Ce soir, m’apprêtant à sortir pour aller d’abord dans le bar où je sais que Thirak a travaillé afin qu’on me renseigne sur où le trouver maintenant, je reçois un coup de fil d’une Viesna qui me dit qu’on s’est rencontré au bar branché où travaille Daet, et qui me demande si je veux venir ce soir à « Gasoline » pour a « jail option » for « poor children ». Je comprends rien, je sais pas où c’est, mais je crois voir qui est cette Viesna (on m’a présenté plein de gens là bas), je dis oui et change de plan. Je me retrouve en fait dans le lieu très chic et en plein air où j’avais déjeuné la semaine précédente avec le directeur de télé qui a fait la même école que moi, qui voulait me proposer un petit job que je vais maintenant m’empresser d’accepter vu mes problèmes de thunes, un lieu avec que des expats - la plupart français - et quelques khmers fortunés. Viesna en fait partie, visiblement, accompagnée de sa sœur artiste (elle, bien qu’ayant fait les beaux arts locaux, organise à présent des exhibitions) et de ses amis. Elle me présente à sa mère, qui me dira à la fin de la soirée être venue pour me rencontrer car sa fille lui avait parlé de moi, qu’elle connaissait mon grand-père et qu’elle voulait savoir si j’allais avoir le petit air supérieur qu’affectent tant de cambodgiens ayant vécu ailleurs. Viesna me présente aussi à d’autres personnes, dont Sataa un designer hyper cool accompagné de son petit copain, et l’organisateur de ce qui se révélera en fait être une « Jewelry Auction », enfin je sais pas l’orthographe mais une vente aux enchère de bijoux dans le cadre d’une opération caritative pour les enfants pauvres d’une ONG, un truc mais absolument à gerber, du début à la fin, je veux pas m’étendre tout juste puis-je citer cette phrase incroyable de l’ambassadrice des Etats-Unis au début de son discours « So much pretty things put together tonight, beautiful jewelry made with real stones, to support beautiful children to make them stop picking up the garbage », non j’ajoute juste qu’ils avaient choisis 6 de leurs enfants pauvres qui étaient sagement alignés derrière les speakerines au début, un peu comme les bijoux étaient en vitrine à côté par ailleurs, puis ce sont eux ensuite qui ont animé les enchères, à coups de « please, to save us, just 5 dollars more, who said 205 dollars ? come on, who wants to be a winner ? noone wants to be a loser, you can be a famous person tonight so who say 205 dollars ? ». Etendu dans l’herbe aux côté de Viesna et de son groupe d’amis (10 personnes avec sa mère et moi), j’aperçois au loin la présence dans ce même bar (après avoir rencontré Stéphanie qui travaille dans la chaine de télé qui a ses bureaux à côtés) de l’australienne dont les lecteurs les plus assidus se rappelleront l’existence. Je lui fais des signes, elle finit par me reconnaître, m’ayant ensuite avoué qu’elle avait d’abord cru à quelqu’un qui surenchérissait sur un bijou. Je la rejoins à sa table où elle est avec sa coloc dont elle m’avait parlé, qui travaille à l’ONU et une collègue de son ONG que j’avais croisée plusieurs fois sans qu’on se soit jamais présenté. J’en profite pour l’inviter à ma crémaillère, nous discutons de tout et de rien, partageons notre étonnement sur la forme de l’enchère, bref rien de spécial et pourtant toujours cet intérêt que j’espère réciproque, mais peut-être n’est-ce là qu’une cordialité toute anglo-saxonne, quoiqu’il en soit j’apprends en prenant son numéro de téléphone qu’elle ne s’appelle pas Joana mais Jar nah, ça alors, c’est comme si je rencontrais une nouvelle personne. Plus tard dans la soirée nous partons avec Viesna et 4 amis à elle à la recherche d’un resto où manger à 21h ce qui est quasi mission impossible au Cambodge et nous échouons dans les stands de rue du marché russe, juste après que Konkir assez étrangement m’appelle pour savoir si je passe ce soir comme convenu dans leur bar, je lui explique que je ne peux pas et ça raccroche alors subitement, je rappelle mais rebelote, j’éclaircirai ça demain car j’irai les voir après avoir trouvé – je l’espère – Thirak. Je goûte pour la première fois à des saucisses de bœuf, Viesna voyant mon appétit me remettra le reste de ces saucisses comme on a l’habitude de faire dans les restos ainsi qu’un calendrier de l’ONG qui organisait la vente aux enchères avec en couverture les photos des enfants très pauvres qui ont pris les photos du calendrier, ça s’appelle smile cambodia et ça a au moins le mérite de me montrer ce qu’il ne faudra absolument jamais faire, ni même approcher, jamais.

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