lundi 30 mars 2009

Elle s’appelait Sylène, je l’avais presque oubliée


copyright Julien S.

Avec le plan séquence de Carlito’s way j’ai abordé pour la troisième fois des sentiers théoriques qui à chaque fois me donnent des sueurs tant j’ai l’impression de patauger et de ne pas savoir comment rebondir devant ces regards perplexes. La première fois c’était la séquence du tango dans Catch me if you can et la seconde l’utilisation du zoom arrière dans Barry Lyndon, là j’invente rien je reprends ce que j’ai lu chez Lagier, mais faire comprendre qu’un personnage peut contre son metteur en scène se cacher dans la coupe entre deux plans et que celui-ci lui répond en sortant le plan séquence, c’était peut-être un peu ambitieux. Quoiqu’il en soit je leur ai montré après le film en entier (je programme un film chaque semaine pour ceux qui veulent rester après le déjeuner, avant y’a eu Vertigo et Kill Bill) et même là je les ai senti se faire un peu chier, trois se sont endormis, un autre s’est barré, je sais pas si c’est le fait qu’ils dorment pas beaucoup ou que vraiment cette génération élevée aux films coréens ne peut plus supporter une scène de discussion dans un film (l’impasse film lent, quand même…). Du coup je sais pas quoi passer pour la prochaine fois, j’ai trop peur qu’ils désertent tous (et j’ai aucun film HK sur moi à part des WKW mais là aussi, encore si j’avais Chungking Express mais c’est le seul que je n’ai pas retrouvé). Je veux leur passer un film romantique car ils adorent les films « sentiment » (en français dans le texte) mais je n’ai rien sous la main (merde j’aurais dû acheter Breakfast at Tiffany’s). Ah j’ai trouvé je vais acheter Twilight au marché noir (2 dollars le dvd piraté en parfait état sauf les traductions anglaises absolument catastrophiques). Mais bon j’étais censé faire une programmation histoire du cinéma en 15 films…

Vannak me propose de me raccompagner chez moi mais surprise quand je sors du CDI c’est finalement Boramey qui m’attend, elle s’est arrangée avec Vannak car mon quartier est sur son chemin. C’est la première fois qu’on n’est que tous les deux, on parle surtout de la situation des lady boys au Cambodge. Elle m’enverra un texto le soir pour me dire qu’elle ne peut pas me rejoindre et je m’apercevrai alors que je ne peux pas lui répondre car je n’ai plus de crédit sur mon téléphone et même plus 5 dollars en poche pour le recharger tant l’hôpital français m’a dépouillé la veille.

Au CF où je rejoins Viesna qui m’a prévenu dans l’aprem qu’il y aurait une expo vidéo, je croise comme c’est le cas à chaque fois que je vais dans ce genre d’événement plein de têtes connues, le directeur de télé, la proviseur du lycée français, la mère artiste de deux de mes élèves français, mon seul allié dans le centre d’archives de RP, le bras droit de Nico à la M… Et je me dis que ceux-là se croisent donc tous les soirs car il y a tous les jours des trucs à faire dans ce circuit. Du reste je ne critique pas, c’est un peu la même chose dans le milieu du ciné, tout juste me fais-je la remarque que même si je les connais (et encore je ne crois pas connaître beaucoup de monde) je me sens pour l’instant étranger à ce manège sans que je sache si je le regrette ou pas (enfin si je sais que j’en tire une fierté finalement assez puérile en même temps qu’un léger regret (mon côté mondain dont il faut que je me débarrasse), deux passions tristes donc). A la limite ça on s’en fout, c’est plutôt qu’à un moment un sentiment étrange s’est invité qui m’a ensuite poursuivi pendant la suite de la soirée. A cette expo je suis donc avec Viesna et sa bande que je connais maintenant un peu, et on est tous assis presque au milieu de la pièce centrale, une dizaine de personnes disons, à parler et à se marrer. Et là passent des gens que je connais, certaines des personnes précitées, et quand nos regards se croisent, je ressens une gêne, comme si tout d’un coup je prenais conscience que je faisais semblant, et qu’eux pouvaient rien qu’avec leur regard révéler la supercherie, que je suis bel et bien un français qui joue au cambodgien, tapis dans un groupe de jeunes locaux, à parler et rire avec eux alors qu’il ne comprend même pas leur langue.

Plus tard au même bar que celui de la vente aux enchères caritative, où un français que j’ai rencontré à mon arrivée fête son anniversaire et où j’ai incrusté la bande à Viesna, rebelote. On est tous les 6 allongés les uns sur les autres dans une sorte de boudoir en plein air, à se prendre en photo (il y aurait aussi beaucoup à dire sur la joie qu’éprouvent les jeunes ici à se prendre en photo), à se faire des papouilles (de préférence entre même sexe, l’amitié étant ici quelque chose de très tactile (oui fanny je me fais violence mais j’en suis très content)), Dan me pince la poitrine en me demandant si je fais du sport, Soleil me montre des vidéos sur son téléphone de ses chansons US préférées, des soupes mélo inécoutables, je lève les yeux et juste à côté plusieurs dizaines d’occidentaux debout un verre à la main, les filles tirées à quatre épingles, les garçons tout en muscle et bronzage, c’est tout ce qui me dégoûte pense-je, et pourtant j’ai envie d’y être, de leur parler, de retrouver un goût d’occident. C’est quand même dingue, je suis en passe de réussir mon pari : je connais beaucoup plus de cambodgiens que d’étrangers, je suis presque intégré dans au moins deux groupes d’entre eux, je ne sors pas dans les coins à expats tous les soirs, et pourtant cette envie d’ailleurs qui ressemble trop à cette fameuse loi de l’herbe est toujours plus verte chez ton voisin pour que je ne trouve pas une autre explication à ce coup de blues, et celle-ci finit par arriver. Le premier degré dont je parlais précédemment concernant la fête à laquelle j’avais assisté, ce premier degré que je retrouvais ce soir également, dans les photos, les chansons et la façon de rire, ce premier degré qui finalement définirait plutôt bien tout ce que j’aime dans cette jeunesse cambodgienne, je l’admire, je l’envie, je suis heureux d’en être le spectateur mais, et malgré tous mes efforts pour en être, je n’en serai précisément jamais que le spectateur. On ne retrouve pas sa virginité si facilement par art du mimétisme et facilité sociale, et c’est un constat assez douloureux.

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