samedi 28 février 2009

Quand vient la fin de l'été

Un mois déjà et l'occasion d'un premier bilan avant de m'engouffrer dans le deuxième moment de mon année ici, avec mon emménagement dans mon appartement au centre de Phnom Penh, cette nouvelle localisation -avant j'étais un peu excentré dans le sud- m'ouvrant plein de perspectives réjouissantes.

Un aveu d'abord, et dont l'énonciation coïncide comme d'habitude avec la disparition du nuage dont il est l'objet (j'aimerais un jour être moins lâche): cette vie paisible dans cette famille était une solution de facilité beaucoup trop confortable et très éloignée de mes vues initiales. Attends je me lève le matin et là une servante a déjà préparé de l'eau chaude pour mon café, a cuit des œufs et du bacon... Après (pas toujours quand même, ponctuellement pour être honnête) un chauffeur m'emmène en mercedes ou 4x4 toyota à l'école où je donne cours. Mon linge est lavé et repassé sans que je bouge d'un cil. Le midi et le soir si je suis là on mange comme des rois, avec à chaque fois au moins 3 plats différents, les servantes sont là pour remplir mon assiette de riz dès que je l'ai vidée (j'ai pris 3 kilos, non oui j'ai hésité à le dire je trouve ça tellement ridicule, mais comme on se dit tout, vous le gardez pour vous cependant hein), bref il y a eu ce prétexte de mon acclimatation au pays pour que je prolonge de quelques semaines mon séjour ici, il y avait tapis derrière la tentation de ce confort bourgeois mais il y avait aussi il faut le dire la vraie joie qui plus est inédite de rencontrer une nouvelle famille, de nouer des liens éternels avec des gens et de faire l'expérience de vivre avec eux. Pour les enfants je suis Pou Sereil (oncle séreil), pour toujours je pense. J'ai un peu ressenti ça quand je suis allé à Batambang avec ma famille dite pauvre.

Donc voilà je me retrouve à la case départ en ayant fait quand même quelques petits pas, oui ce n'est pas logique mais ce que je veux dire c'est que je retrouve la même excitation et la même angoisse d'avant mon départ, à l'heure de m'installer seul dans cet appart, de me lever le matin sans personne à qui parler et de rentrer le soir, passer devant le sexy bar qui se trouve à côté et monter mes trois étages dans l'obscurité presque totale, ouvrir les trois cadenas amenant enfin à mon appart, et me préparer du porc au caramel.

1 Bilan des ateliers

- j'anime des ateliers de cinéma dans 4 écoles, 6 classes et un total de 59 élèves, à raison de 2h par semaine par classe.
- des collégiens français parfois métisses, des lycéens français, des khmers entre 16 et 22 ans qui apprennent l'art et notamment la peinture, des khmers de la rue entre 16 et 22 ans scolarisés dans une ONG et des étudiants du département media de la plus grande université publique.
- contrairement à ce que certains me prédisaient les cambodgiens comprennent tout ce que je dis même si évidemment le niveau du cours n'est pas le même pour tous. chacun en tout cas développe le même enthousiasme dès qu'il s'agit de manipuler une caméra.
- j'ai du mal à m'en sortir en termes de temps mais je mise tout sur l'arrêt d'internet pour donner un rythme viable à tout ça.
- je suis payé hors vacances scolaires 45$ par semaine au total ce qui me permet de payer mon loyer.

2 Bilan réseau social pour toi descalles:

- une famille sino-cambodgienne qui sera là pour m'aider toute l'année s'il le faut, d'une gentillesse incroyable et qui m'a permis de faire mes premiers pas ici et de voir la vie à travers leurs yeux (de riches commerçants donc). plein d'enfants pour qui je suis désormais pou sereil.
- une autre famille, riche aussi, dont mon principal lien est l'un des trois fils (mon cousin) qui a étudié un an en france et qui est ravi de pouvoir exercer la langue. il m'a invité hier à une virée entre amis dans la boite à expats (rempli de professionnelles) puis dans le club hype du moment, pour le coup uniquement composé de cambodgiens (du genre jeunes et très riches), avec des filles qui sans être des professionnelles partagaient étrangement le point commun de toutes ressembler à des mannequins. malheureusement Srun mon cousin repart en australie pour 3 mois pour ses études.
- une famille à Battambang, première province, sorte de maison des bois locales où la vie n'avait absolument rien à voir, avec les enfants qui coupent le poisson le soir puis font la vaisselle à 22h quand ceux de ma maison actuelle pleurent quand la servante les empêche de manger un troisième gâteau d'affilé. dans cette famille un cousin là aussi, Dee, qui étudie la bible une heure par jour avec un prof américain (j'imagine plus pour apprendre la langue que par foi, quoique) en attendant de pouvoir rejoindre un jour sa mère aux USA et devenir comme elle cuisinier; Dee m'appellera dès qu'il passe à Phnom Penh.
- l'une des rares amies de l'époque de ma mère qui est bras droit du président du sénat depuis 15 ans et qui veut que je la considère comme ma tante.
- un ministre important qui lui se trouve être un ancien prétendant de ma tante et plus officiellement un de ses meilleurs amis, qu'elle a chargé de prendre soin de moi.
- le directeur d'une chaine de télé ayant fait la même école que moi et qui ne cesse de me répéter depuis mon arrivée qu'il me file les rênes de sa chaîne dès que j'ai fini avec ces ateliers.
- la seule grande actrice survivante de la période Pol Pot qui prend comme une affaire personnelle de me faire connaître du monde et de m'apprendre les danses cambodgiennes.
- deux des très rares cinéastes survivants que je serai amené à filmer bientôt
- mes élèves bien sûr, avec cette envie de nouer de vrais liens que j'ai tout de suite ressentie chez ceux de l'université, après c'est logique ils ont à peu près mon âge, sont cultivés et parlent mieux anglais que moi. j'espère de mon côté pouvoir briser rapidement cette distance prof/élèves avec les élèves provenant de la rue car ils sont vraiment cools et marrants, et que je commence à avoir des idées de casting pour certains.

3 Ce que j'ai appris en un mois

- qu'il va falloir redoubler d'effort pour parler couramment khmer, maintenant je tiens une discussion sans souci avec les conducteurs de moto mais ça a ses limites, que j'éprouve à chaque fois que je parle à des gosses qui eux ne prennent pas la peine de parler doucement pour que je les comprenne.
- comme il est facile de s'abandonner au confort bourgeois et au jeu terrible mais omniprésent de la hiérarche sociale
- que les enfants m'adorent, non sans blague qu'ils m'adorent vraiment, genre plus que leurs parents s'ils restaient avec moi deux jours d'affilée.
- que je peux manger des soupes, des sandwichs à la viande ou des plats de riz sans problème tous les matins.
- que quand on mange on grossit (j'avais oublié à paris).
- qu'il est possible et ça c'est pour tous ceux qui m'ont toujours soutenu le contraire et triomphaient par avance de mon échec et ce même si je les entends déjà dire que oui mais c'est pas pareil toi tu as de la famille là-bas et en plus ta tête (et là je leur dis non on me prend tout le temps pour un japonais), qu'il est possible de ne pas avoir une vie d'expat avec un réseau d'expat des activités d'expat et surtout une mentalité d'expat (qui quoiqu'on en dise reste une mentalité de colons, oui je vous ai pas raconté mon fameux diner réseau école mais par moments ça m'a vraiment écoeuré, et cette façon de parler des gens et de les mépriser, et cette façon peut-être pire de les aimer).
- à me comporter comme un cambodgien dans la rue et dans les commerces, je sais pas si ça fait illusion (sans doute que non) mais peu importe j'arrive parfois à me sentir comme tel: je ne souris plus quand je regarde les gens, je fais un non entendu sans ouvrir la bouche quand on me propose un tuctuc, je m'adresse aux gens en faisant précéder la question par "ban" (grand frère). bref évidemment que personne d'autre que moi n'y croit mais ce plaisir, loin d'être celui de l'illusion de l'appartenance à une communauté ou du retour aux racines, c'est celui simple et gratuit du mimétisme.
- les danses cambodgiennes donc.
- que je vais devoir mettre moi aussi du shweppes dans mon whisky si je veux pas faire mon blackout à chaque fois vu que sinon je me retrouve à boire beaucoup plus que les autres avec leur manie de la trinque collective.
- combien les relations garçon fille n'ont rien à voir avec les nôtres, c'en est à la fois terrifiant et passionnant, cette segmentation, cette différence de statuts et cette persistance d'une tradition que je pensais quand même moins forte.
- combien les relations entre les gens et à l'intérieur des groupes n'ont rien à voir avec les nôtres, je reviens d'un déjeuner avec mes élèves de l'université là, et j'ai l'impression qu'il ne peut pas y avoir de problème relationnel entre eux, par exemple qu'il est impossible que deux types se détestent dans une même classe, non ils s'aiment tous bien, rigolent tous ensemble, ce qui pose la question de la personnalité, de la vie en dehors du collectif et de savoir s'il y a la même tiédeur dans le sens inverse (les relations fortes).

4 Mes résolutions pour les mois à venir

- trouver un équilibre et un rythme entre mes diverses activités, ou alors définitivement accepter
de me laisser porter par les eaux les plus fortes et voir ce qui arrive.
- en finir avec internet qui m'empêche de vivre pleinement ici et qui joue le même rôle que la télévision à une autre époque. je ne m'abonnerai pas et y aurai accès quand je rendrai visite à ma famille ou dans les diverses écoles où je vais. j'écrirai donc mes billets sur word puis les posterai sur le blog. je serai aussi moins réactif et moins long sur les mails. j'ai hâte de revenir à cet âge pré-internet où je vais être obligé pour m'occuper de descendre dans la rue, lire les bouquins que fanny m'enverra de france, voir les films de sylvain et écrire ceux que je fais ici.
- prendre plus de risque avec mon confort quotidien: sortir la nuit même si tout le monde arrête pas de me répéter que c'est un coupe gorge (ce dont je ne suis même pas si sûr), passer du temps dans les rues.
- rendre visite à tom au vietnam, vinz aux philippines et peut-être laure en corée.
- trouver de l'argent!
- apprendre à cuisiner local et me faire à bouffer.
- passer une après-midi par semaine dans l'école avec les jeunes des rues, faire leur connaissance, les voir en dehors.
- organiser des fêtes mieux que celles de la rue keller dans mon nouvel appart, en espérant que j'arriverai à faire sortir les cambodgiens qui pour la plupart se couchent à 22h.
- voir au moins 4 films par semaine.
- lire au moins un bouquin par mois (c'est mal parti).
- continuer à filmer régulièrement et poster au moins une vidéo par semaine.
- continuer à écrire l'histoire de ma vie sentimentale (oui ça parait un peu vulgaire dans une to do list mais c'est pour faire preuve de volontariat).
- écrire les nouveaux mots appris et les relire, c'est pas si compliqué merde.

allez je vais faire ma valise pour Bangkok.

(j'allais oublier une nouvelle vidéo , pas ouf mais qui pourra me servir plus tard)

1 commentaire:

  1. Tu sembles t'acclimater et vivre une vraie vie d'expats plus vite que je ne l'aurais pensé !
    Bravo...
    Passe le bonjour à Nicky

    Bat

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