jeudi 16 avril 2009

Tonton Veasna

De la fenêtre du troisième étage du Café Sentiment par laquelle nous filmons un long plan de la circulation de Phnom Penh la nuit, j’aperçois une silhouette au milieu de la grande rue qui m’est familière. La distance m’empêche d’en être sûr mais il me semble bien reconnaître mon amie « folle », qui traverse la rue dans un sens, s’arrête pour scruter les voitures, retraverse, pointe du doigt certains conducteurs, traverse encore et reproduit son manège inlassablement. Je la retrouve quelques minutes plus tard dans la rue, elle me montre sa blessure à la jambe, une marque horrible faite par un pot d’échappement de moto. Cette fois-ci j’enregistre son prénom, facile ça ressemble au nom des bouchées de porc à la vapeur que j’adorais quand j’étais gamin : Siu May.

Découvert un lieu incroyable ce même soir : un centre commercial dans le sud de la ville totalement fantomatique et sinistre, des lieux désertiques où les employés sont bien plus nombreux que les clients, ceux-ci se résumant essentiellement aux clients du bowling et de la salle de sport. Des employés qui restent là immobiles à attendre des clients qui n’arrivent jamais, qui dorment sur les tables ou jouent parfois aux cartes dans une arrière-salle. On pense forcément à Good bye, Dragon Inn, ou à JZK, ça s’appelle le Park Way et j’espère pouvoir y retourner de temps à autre.

Si je peux écrire ce blog c’est uniquement parce que les personnes dont je parle ne le lisent pas, j’en serais très gêné si c’était le cas, je m’en suis rendu compte quand j’ai compris que je n’écrirai rien sur ma rencontre avec Stéphanie, la sœur de Thomas revenue trois jours à Phnom Penh, car je lui ai filé l’adresse du blog ou même que je l’ai filée à Thomas.

Le moment que j’ai préféré dans cette soirée si riche c’est quand en sortant du marché de nuit Seila a proposé de faire un tour en moto et on a alors passé une demi-heure, à sept sur quatre motos, à parcourir lentement les quartiers de la ville, en discutant d’une moto à l’autre et en occupant parfois toute la largeur des rues. Un truc que j’avais déjà vu maintes fois en tant que spectateur et que je trouvais super beau. Ce soir-là j’avais réuni mes amis qui ne partaient pas pour le nouvel an (14, 15 et 16 avril), soit une poignée tant tout le monde part en province retrouver sa famille ou sa maison d’origine.

Bien que je commence à comprendre que Veasna ne me sollicite pas tous les jours uniquement par amitié ou prévenance, je dois avouer que c’est sa sœur que je trouve super, j’ai rarement rencontré une fille « respirant » autant « la joie de vivre ».

Hier et alors que je m’étais promis de travailler toute la journée j’ai passé plus de trois heures dans la rue, assis sur une chaise devant la petite épicerie de rue de la famille de Choy mon voisin, à discuter avec lui puis avec Stéphanie qui nous a rejoints. Coutume très locale que de passer une grande partie de la journée à n’absolument rien faire, parfois à ne rien dire, assis à l’ombre avec toujours comme je l’avais déjà exprimé avant ce doute sur ce qui se passe dans leur tête pendant ces plages de silence, est-ce que ça pense ou est-ce que ça ne pense pas, je devrais poser la question un jour. Choy est l’un de mes nombreux professeurs de cambodgien (tiens personne pour relever mes progrès incroyables qu’on peut admirer dans l’avant-dernière vidéo ? et moi qui étais si fier), il a 19 ans et étudie le droit. Physiquement il me fait penser à mon oncle Tonton Bora, je n’y avais pas pensé avant mais c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles je me sens très proche de lui.

Glandant ainsi dans la rue j’aperçois soudain Ada qui sort d’un immeuble en moto avec une autre fille. La moto passe rapidement devant nous mais au moment où nos regards se croisent je crois bien qu’elle détourne la tête. Quelques dizaines de minutes plus tard elles reviennent et rentrent dans l’immeuble mais cette fois-ci par l’autre côté de la rue, si bien que je me demande si elle ne l’a pas fait exprès pour m’éviter. Peut-être une heure plus tard elles ressortent à nouveau, cette fois-ci à pied et accompagnées d’un enfant, je la cherche du regard et lui fais un signe de la main au moment où elle me regarde. Les trois s’avancent alors vers nous et nous nous saluons enfin, je devine que l’autre fille est sa jeune sœur et j’apprends surtout que l’enfant est le sien, qu’il a deux ans et s’appelle Veasna. Je demande si ce n’est pas plutôt un prénom de fille, elles me répondent étonnées que non et je me dis que je suis idiot : le seul frère décédé de ma mère pendant le régime des khmers rouges s’appelait lui aussi Veasna.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire