mardi 28 avril 2009

Joy of living

Si je devais choisir maintenant, mettons si une situation que j’ai du mal à imaginer faisait que je devais faire un choix et abandonner les autres, eh bien ça serait sans hésiter Kanitha, j’ai eu la révélation quand ce matin à 4h je me suis réveillé sans n’avoir pu me rendormir, comme la nuit de Rising, cette fois-ci la faute au Red Bull bu à 23h, étrange idée mais c’était l’une des seules boissons à moins de deux dollars et j’avais particulièrement envie d’être en forme. Elle m’a invité hier à la première d’un spectacle de danse contemporaine cambodgienne, et ce fut donc la première fois que nous nous retrouvons sans sa sœur Veasna, prise par un mariage dont j’ai subtilement décliné l’invitation. Bizarrement ici la notion d’invité a de l’importance, si bien que comme j’étais son invité et malgré le fait qu’on était un groupe de 15 personnes il paraissait évident qu’il fallait que je m’assoie à côté d’elle puis que je prenne place sur sa moto quand nous avons par la suite décidé de manger des ailes de poulet au KFC. Mais ça a donc fait mon affaire, et nous avons même partagé un coca à deux pailles - il y a des signes qui ne trompent pas.

lundi 27 avril 2009

J’ai tué le deuxième ver

La semaine dernière rentrant chez moi de jour je sursaute au moment où je referme la porte car il me semble bien que quelque chose a bougé sur la cuisine entre la prise et la plaque électrique. Et effectivement se tient caché sous l’épais fil électrique de ma bouilloire un énorme cafard marron. Je demeure tétanisé un moment, une éternité il me semble, à hésiter sur la meilleure stratégie à adopter : chaussure, journal, balai… J’approche quelque chose en sa direction et l’ignoble bête se met à bouger à une vitesse diabolique pour se poser verticalement, immobile et bien en évidence, sur le carré blanc de ma prise électrique murale. L’insecte doit faire sept centimètres et la situation devient quelque peu absurde, surtout moi qui reste paralysé à deux mètres de la bête, mais plus je la regarde plus je comprends que je ne pourrai pas la tuer d’un coup de chaussure, que la taille du cafard fait que je ne supporterai pas de le sentir s’écraser sous la semelle, ni de le sentir si proche de ma main. Je prends donc le balai et entreprends de lui donner un coup fort et sec, mais là encore le flash forward de la chair broyée me fait renoncer et je décide de le chasser seulement, je rouvre la porte, approche le bout du balai de l’insecte, attends encore quelques secondes, à hésiter alors que maintenant tout est clair, je donne un petit coup qui le fait fuir et se cacher à côté de la poubelle puis d’autres plus brouillons et désespérés qui le font finalement quitter mon appartement en courant vélocement avec ces répugnantes petites pattes.

Le lendemain de mon retour de Battambang j’entre de nuit dans ma salle de bain et du coin de l’œil je pressens quelque chose d’étrange sur le coin de la baignoire, et tournant mon regard je découvre posé sur le bouche-baignoire à côté de mon shampoing un cafard en tout point similaire à celui que j’avais laborieusement chassé. Là encore je suis tétanisé, encore plus car je me dis que je ne pourrais rééditer la technique de la première fois et qu’il va bien falloir en finir avec celui là. N’écoutant que ma couardise j’empoigne le jet d’eau censé servir de chasse d’eau pour mes toilettes et asperge le cafard qui se cache d’abord derrière le shampoing puis tombe dans la baignoire et commence alors un interminable manège qui me voit tenter de l’étouffer avec l’eau ce qui n’est pas prêt d’arriver tant la force du jet ne peut que déplacer le cafard dès lors qu’il entre en contact avec lui et qui le voit lui débattre ses petites pattes quand il est sur le dos puis feinter l’immobilité quand il est du bon côté avant d’essayer de sortir de la baignoire ce que je lui interdis à chaque fois. Je me rends bien compte que ça pourrait durer des jours et pourtant je continue, espérant sans doute irrationnellement que ma technique ridicule finisse par marcher. Et le cafard de se retrouver balancé de tous les côtés de cette baignoire, tantôt dans le trou d’évacuation qui est bien trop petit pour le faire disparaître tantôt le long des parois montantes, et je finis par avoir l’idée de lui faire boire pattes retournées mon détergent à chiottes et le voilà qui se débat encore plus frénétiquement pour finir par ne plus bouger du tout, j’ai gagné mon combat mais même là il me faudra un instant de réflexion avant de prendre la pelle, de ramasser la bête et de tirer la chasse d’eau.

Et c’est encore sous le coup de l’effroi de cette deuxième rencontre que je repense à mon rêve et à ses deux gros vers de terre marrons, le deuxième caché sous l’eau de l’évier en plus, et je me dis mais qu’est-ce que ça veut dire ça existe donc les rêves prémonitoires à moins que ça ne soit une épreuve et alors quel en était le but non ne me dis pas qu’il ne fallait surtout pas en tuer l’un sans l’autre, séparés à jamais qu’ai-je fait, et si en fait c’était l’heure de la libération ?

vendredi 24 avril 2009

Koustonbrut t'es passé où

C’est vraiment dommage que je n’ai pas pu finir le post précédent, il était tard et j’ai préféré dormir avant le départ, et puis je crois me souvenir que je n’avais pas trop l’énergie d’écrire, c’est vraiment dommage car il y avait beaucoup à dire sur les gens qui peuplent ma rue, pour la plupart des jeunes travaillant autour de la prostitution, oui il m’a fallu près de deux mois pour me rendre compte que j’habitais un quartier de prostitution, rien que dans ma rue un bar fermé à enseigne lumineuse rose, à côté une grande entrée sombre dont je ne sais pas si les filles et les transsexuels qui en sortent puis y rentrent font partie du bar à enseigne rose ou s’il y a autre chose à l’intérieur (pas encore osé m’y aventurer), en tout cas devant cette entrée il y a toujours du monde, surtout des jeunes mecs dont là encore je ne comprends pas si ce sont des rabatteurs, ce qu’ils font exactement avec les filles ou simplement s’ils glandent là parce qu’ils habitent là, ces jeunes mecs ne me parlent jamais, ils sont les seuls à ne pas me répondre quand je dis bonjour, j’espère que ça va pas durer trop longtemps, je compte sur Choy, les enfants et les filles pour leur dire que je suis sympa mais c’est pas gagné. A côté de l’entrée sombre il y a la maison de Choy avec l’épicerie sur rue de sa mère, en face un salon de coiffure tenu par une femme, la trentaine (d’ailleurs j’y vais demain matin, même si la coupe est à deux dollars ce qui est du vol me dit Seila qui va se coiffer dans les trucs à la mode pour un peu plus d’un dollar), qui habite derrière son salon et que j’ai vu sortir tous les soirs vers 22h en tenue sexy, entrer dans la voiture de son amie similairement vêtue puis partir rejoindre quelques destinations secrètes, à côté de ce salon une guest house dont j’ai vu sortir quelques vieux occidentaux et aussi entrer mais la plupart du temps accompagnés de jeunes filles locales elles-mêmes accompagnées d’un jeune homme en moto qui les dépose, part puis revient les chercher une heure après.

En revenant de ces trois jours à Battambang, à passer des heures à deux ou trois sur des motos le long de routes magnifiques, à se faire attaquer comme le veut la coutume par des jets de ballons d’eau dans les rues et à assister à une bagarre générale dans un temple bouddhique au beau milieu d’une fête, un sentiment familier, celui du vide qui accompagne les retours de période intensive et collective, genre l’après cannes ou l’après tournage (l’après colo en étant la première expérience). D’habitude il est facile de ne pas céder à l’appel du spleen en passant un coup de fil et en allant boire un verre avec quelqu’un. Là pas de bol personne à appeler, et arpentant les rues après avoir épuisé la solution du cybercafé où je suis resté deux heures je suis soudainement pris d’une impression que j’avais habilement oubliée, celui d’être seul et perdu dans un pays inconnu. Par masochisme je ne suis pas allé boire un verre dans le bar de Kongkea et Daet et pire j’ai décidé de ne pas manger dehors mais de me faire ma soupe bihebdomadaire, et pire encore en passant devant chez Choy et ne l’apercevant pas je n’ai pas demandé à sa mère d’aller le chercher comme je le fais tous les jours. Dans cet appartement que ma première rencontre avec le cafard a rendu légèrement hostile j’allume toutes les lumières, fais chauffer l’eau et me mets à l’écriture de ce billet quand mon téléphone sonne : c’est ma mère, qui a sans doute senti ma détresse à l’autre bout de la planète. Elle me questionne sur mon week-end, je lui raconte, mon père veut me parler d’un retrait de l’essec sur mon compte, elle l’engueule en lui disant que ce n’est pas le moment qu’il me racontera dans son mail, je le relance pourtant mais pressée elle semble vouloir mettre fin à la conversation, je sais que c’est parce que ça coûte cher et surtout qu’elle ne veut pas me faire perdre mon temps, mais cette fois-ci je suis prêt prolonger la discussion le temps qu’il faudra, sauf que c’est trop tard elle a raccroché avant même que j’aie le temps de lui dire d’embrasser mon frère et ma sœur pour moi, j’aurai voulu lui dire maman je me sens seul ce soir discutons encore un peu mais elle n’en dormirait plus la nuit.

mercredi 22 avril 2009

Inachevé

16 avril 21h23. Les trois jours du nouvel an cambodgien arrivent à leur fin alors que je m’apprête à commencer mes vacances : nous partons 3 jours à Battambang - la ville où j’ai tourné C – avec Seila, Sonina et Heng. D’ailleurs il s’en est fallu de peu pour que nous ne partions qu’en duo, Heng s’étant défilée au dernier moment et les parents de Sonina refusant alors qu’elle parte sans la présence d’au moins une autre fille. Mais quelques textos persuasifs ont eu leur effet et je suis donc là à laver mes caleçons à la main puis à les passer au sèche cheveu puis au ventilo en priant pour qu’ils soient secs demain, la faute à ma grand-mère de substitution qui a fui sa maison et chez laquelle je n’ai donc pas pu prendre mon linge propre et au centre commercial qui vend des caleçons horribles pour 7 dollars pièce.

Tout le monde m’avait demandé la semaine d’avant ce que je faisais pour le nouvel an, ce qui en termes de pression est équivalent à la question similaire en France pour le même événement, sauf qu’il ne s’agit pas de sortir du chapeau une soirée excitante mais de dire qu’on part de Phnom Penh pour rejoindre de la famille en province. Disons que c’est la lose de rester dans la capitale désertée durant ces trois jours comme Paris en août (sans les touristes). Et c’est finalement ce que j’ai fait, n’ayant pas de famille à visiter et voulant profiter du calme et de l’absence d’amis pour avancer sur le scénario de mon film et sur une refondation de ma stratégie de fundrising pour les mois à venir. Evidemment de travail il a peu été question finalement, mais comme souvent dans ces cas de défaite de la volonté je n’ai aucun regret car l’objet surprise de substitution en valait la peine. D’abord mon cousin de Battambang, dont j’avais promis de raconter la situation familiale extraordinaire et qui mériterait un film à elle seule (mais malheureusement il part peut-être pour les Etats-Unis dans quelques semaines, et pour toujours), puis surtout la découverte de ma rue, dans laquelle je n’ai pas l’habitude de passer beaucoup de temps, à part pour discuter avec Choy mon voisin ou pour rentrer ou sortir de chez moi, et qui est d’ordinaire toujours noire de monde, entre les innombrables vagues d’étudiants qui se succèdent chaque heure dans l’école d’anglais mitoyenne de mon immeuble, les chauffeurs de moto et les commerces de rue et leurs clients. Là pendant trois jours il n’y avait que les habitants de la rue, qui

lundi 20 avril 2009

Ca s’appelait « Ah oui je vous ai pas dit mais… »

Retrouvé ces notes que j’avais écrites pour le blog il y a un moment, pas finies puis oubliées dans un coin de mon ordi. J’ai remarqué en les relisant que j’y faisais référence dans un des derniers posts, donc difficile pour vous de comprendre…

« … j’ai sympathisé avec le garçon qui habite dans la rue en face de chez moi et dont la famille tient une sorte de petite épicerie. Il s’appelle Choy (et maladroitement je l’ai appelé Chloy à ma teuf ce qui veut dire « malpoli »), a bientôt 20 ans et va à l’université de temps à autre. On discute un peu tous les jours maintenant dès que je descends dans la rue, ce qui m’a permis ce soir – et précisément le jour où je me sens le moins bien – de goûter à l’activité préférée de pas mal de cambodgiens : la glande. En rentrant du resto qui fait le coin de la rue d’après et où j’ai mangé une soupe au bœuf pour un poil plus d’un dollar je reste un moment devant chez lui, à discuter aussi avec le chauffeur de moto qui habite dans le coin et qui m’a conduit plus d’une fois. Et la grand-mère (qui a des dents pleines de sang, et qui crache des flots de sang régulièrement, c’est vraiment spécial à voir) finit par me proposer une chaise, et je reste assis là une demi heure à ne rien faire (Choy s’est absenté faire laver des habits) (enfin j’essaie surtout d’oublier que j’ai mal aux oreilles). Et c’est un peu ce que font tous les gens ici le soir (enfin les pauvres, les riches comme j’en ai fait l’expérience le premier mois restent chez eux), glander dans la rue près de leur habitation (qui la plupart du temps sont ouvertes sur la rue). Et ils ne se disent pas grand-chose, semblent attendre quelque chose mais rien n’arrive. Ou alors ils matent la télé, souvent des karaokés au montage impossible ou des sitcoms chinois doublés en khmer. Cette capacité à n’absolument rien faire pendant si longtemps, sans que jamais on puisse soupçonner que s’invite une quelconque réflexion sur quoi que ce soit, n’a pas fini de me fasciner (même si d’un autre côté ça m’inquiète).

… mardi soir dans la salle de montage des élèves de l’université, il restait à 19h encore une vingtaine d’étudiants, mais comme à cette heure-ci il n’y a plus de prof, l’ambiance est plus cool et ils se permettent de mettre de la musique, la plupart du temps de la pop locale. Et là j’assiste à une si belle scène que j’aurais du mal à imaginer en France - encore cette histoire de premier degré : à un moment passe une chanson un peu mélo, et une élève se met à la fredonner (Kim Oan je crois), puis d’autres font de même et ils sont à la fin 6 ou 7 à chanter doucement la même musique en même temps dans la salle sans même se regarder, sans même donner de l’importance à cette scène que pour ma part j’ai trouvé formidable.»


J’écoute la musique de B. Button c’est vrai qu’elle est cool, je n’y avais pas fait attention en regardant le film. Je le reverrais bien ce soir mais le lecteur dvd de mon mac ne marche plus, ce qui est un peu le cauchemar je dois avouer.

jeudi 16 avril 2009

Tonton Veasna

De la fenêtre du troisième étage du Café Sentiment par laquelle nous filmons un long plan de la circulation de Phnom Penh la nuit, j’aperçois une silhouette au milieu de la grande rue qui m’est familière. La distance m’empêche d’en être sûr mais il me semble bien reconnaître mon amie « folle », qui traverse la rue dans un sens, s’arrête pour scruter les voitures, retraverse, pointe du doigt certains conducteurs, traverse encore et reproduit son manège inlassablement. Je la retrouve quelques minutes plus tard dans la rue, elle me montre sa blessure à la jambe, une marque horrible faite par un pot d’échappement de moto. Cette fois-ci j’enregistre son prénom, facile ça ressemble au nom des bouchées de porc à la vapeur que j’adorais quand j’étais gamin : Siu May.

Découvert un lieu incroyable ce même soir : un centre commercial dans le sud de la ville totalement fantomatique et sinistre, des lieux désertiques où les employés sont bien plus nombreux que les clients, ceux-ci se résumant essentiellement aux clients du bowling et de la salle de sport. Des employés qui restent là immobiles à attendre des clients qui n’arrivent jamais, qui dorment sur les tables ou jouent parfois aux cartes dans une arrière-salle. On pense forcément à Good bye, Dragon Inn, ou à JZK, ça s’appelle le Park Way et j’espère pouvoir y retourner de temps à autre.

Si je peux écrire ce blog c’est uniquement parce que les personnes dont je parle ne le lisent pas, j’en serais très gêné si c’était le cas, je m’en suis rendu compte quand j’ai compris que je n’écrirai rien sur ma rencontre avec Stéphanie, la sœur de Thomas revenue trois jours à Phnom Penh, car je lui ai filé l’adresse du blog ou même que je l’ai filée à Thomas.

Le moment que j’ai préféré dans cette soirée si riche c’est quand en sortant du marché de nuit Seila a proposé de faire un tour en moto et on a alors passé une demi-heure, à sept sur quatre motos, à parcourir lentement les quartiers de la ville, en discutant d’une moto à l’autre et en occupant parfois toute la largeur des rues. Un truc que j’avais déjà vu maintes fois en tant que spectateur et que je trouvais super beau. Ce soir-là j’avais réuni mes amis qui ne partaient pas pour le nouvel an (14, 15 et 16 avril), soit une poignée tant tout le monde part en province retrouver sa famille ou sa maison d’origine.

Bien que je commence à comprendre que Veasna ne me sollicite pas tous les jours uniquement par amitié ou prévenance, je dois avouer que c’est sa sœur que je trouve super, j’ai rarement rencontré une fille « respirant » autant « la joie de vivre ».

Hier et alors que je m’étais promis de travailler toute la journée j’ai passé plus de trois heures dans la rue, assis sur une chaise devant la petite épicerie de rue de la famille de Choy mon voisin, à discuter avec lui puis avec Stéphanie qui nous a rejoints. Coutume très locale que de passer une grande partie de la journée à n’absolument rien faire, parfois à ne rien dire, assis à l’ombre avec toujours comme je l’avais déjà exprimé avant ce doute sur ce qui se passe dans leur tête pendant ces plages de silence, est-ce que ça pense ou est-ce que ça ne pense pas, je devrais poser la question un jour. Choy est l’un de mes nombreux professeurs de cambodgien (tiens personne pour relever mes progrès incroyables qu’on peut admirer dans l’avant-dernière vidéo ? et moi qui étais si fier), il a 19 ans et étudie le droit. Physiquement il me fait penser à mon oncle Tonton Bora, je n’y avais pas pensé avant mais c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles je me sens très proche de lui.

Glandant ainsi dans la rue j’aperçois soudain Ada qui sort d’un immeuble en moto avec une autre fille. La moto passe rapidement devant nous mais au moment où nos regards se croisent je crois bien qu’elle détourne la tête. Quelques dizaines de minutes plus tard elles reviennent et rentrent dans l’immeuble mais cette fois-ci par l’autre côté de la rue, si bien que je me demande si elle ne l’a pas fait exprès pour m’éviter. Peut-être une heure plus tard elles ressortent à nouveau, cette fois-ci à pied et accompagnées d’un enfant, je la cherche du regard et lui fais un signe de la main au moment où elle me regarde. Les trois s’avancent alors vers nous et nous nous saluons enfin, je devine que l’autre fille est sa jeune sœur et j’apprends surtout que l’enfant est le sien, qu’il a deux ans et s’appelle Veasna. Je demande si ce n’est pas plutôt un prénom de fille, elles me répondent étonnées que non et je me dis que je suis idiot : le seul frère décédé de ma mère pendant le régime des khmers rouges s’appelait lui aussi Veasna.

dimanche 12 avril 2009

C. needs shopping…

Pour une raison que j’ignore mais que j’attribue partiellement aux photos que tu m’as envoyées hier et à leur concrétude, c’est la première fois que l’ultra précision et la persistance des images me permettent d’en faire un récit.

Je ne me souviens plus trop bien du début, comment nous négocions avec la question du temps qui a passé, je crois que je suis plein de rancœur et sans doute ai-je en embuscade, prêtes à servir à tout moment, quelques phrases cruelles dont je connais à l’avance les effets destructeurs. Il y a ensuite une sorte d’ellipse à moins que ça ne soit un trou de mémoire ou les deux mais nous finissons par passer la nuit ensemble, redécouvrant le parfum de nos corps mais aussi notre complicité d’antan. A un moment, en plein milieu de caresses, je sursaute : il semble que j’étais dans une sorte de demi-sommeil (tiens je n’ai pas pensé alors à évoquer la corde) et que je viens d’arriver à une pleine conscience. Je lui fais part de ce réveil et lui demande si les instants d’avant elle avait deviné que je demi-dormais. Son petit rictus me fait comprendre qu’elle avait bien senti que je n’étais pas là.

La lumière du plafond est allumée. Je lui demande si elle est sortie pendant la nuit, car il me semble bien que quand nous nous sommes endormis elle était éteinte (du reste je pense que je mens ou qu’au mieux je fais preuve d’intuition car je n’en ai aucun souvenir réel), elle me répond que non mais soudain je perçois dans le tremblement de sa voix quelque chose d’étrange, comme une tristesse et une conscience cachées sur lesquelles elle posait le voile d’une insouciance que par ailleurs je reconnaissais totalement. Je pense soudain que nous ne sommes pas seuls, que tout le monde doit savoir que nous avons passé la nuit ici, et j’imagine effrayé son copain ouvrir brutalement la porte et me casser la figure ainsi qu’il m’en avait menacé il y a quelques années.

A une seule reprise je crois j’évoque la réalité des choses, soit la question du qu’est-ce qu’on fait maintenant, quel est notre avenir, mais elle coupe aussitôt court à la discussion, je ne sais plus avec quel argument mais en gros en prétextant qu’il ne faut pas gâcher le moment présent, et en gros je comprends que nous n’avons aucun avenir.

Je regarde son visage. Le remarquant elle me montre fièrement qu’elle a maigri des joues et du reste c’est vrai, et l’espace d’un instant je me dis qu’elle est incroyablement belle, puis continuant à la dévisager et me réhabituant à ces traits autrefois si familiers je me rends compte qu’ils ont vieillis, presque imperceptiblement, surtout sa peau est un peu abimée, un peu rouge, comme des marques d’une surexposition au soleil, ça part du milieu des joues pour atteindre le front. Je lui demande si ce qu’elle avait au lobe de l’oreille droite va mieux (elle n’a jamais rien eu à l’oreille, je ne sais pas d’où me vient l’idée) car je ne vois plus rien (et pour cause) mais elle me répond que si, que ça n’est pas parti et qu’elle en garde toujours la trace.

A un moment je prends conscience qu’elle n’est plus dans la chambre. Je réfléchis mais ça a beau s’être passé il y a quelques secondes je n’arrive plus à me rappeler pourquoi elle est sortie et ce qu’elle m’a dit avant de partir. Soudain j’aperçois la présence en plein milieu du lit d’une sorte de ver de terre marron de quelques centimètres, je me dis vite avant qu’elle ne revienne débarrassons-en nous je ne veux pas qu’elle soit dégoûtée par l’hygiène de mon appartement cambodgien (la scène se passant alors subitement au Cambodge), je le prends à l’aide de deux doigts vite relayés par un mouchoir, je le jette dans la poubelle et voulant me laver les mains je me rends compte qu’il y en a un deuxième dans l’évier, presque sous l’eau, d’une taille encore plus inquiétante et d’une forme encore plus repoussante.

samedi 11 avril 2009

Bye bye happiness

Konkea (encore une mauvaise orthographe de départ) m’a fait le même coup que Daet, à croire qu’il est impossible d’être seule en public avec un garçon. On s’est vu à mon appart le matin pour une histoire de clés et aussi parce qu’elle a cours tous les matins dans l’immeuble voisin du mien, elle s’est proposé de m’emmener l’après-midi dans un marché de seconde main pour les paillassons que je cherche (oui des paillassons d’occasion c’est pas l’idée du siècle je m’en suis rendu compte plus tard) et le dit aprem surprise elle est accompagnée de sa sœur et d’un ami de sa sœur.

Jeudi soir j’avais promis à R. de passer et surtout d’inviter mes étudiants à la projection, bien sûr aucun d’entre eux ne s’est pointé j’avais l’air malin. Mais Thomas et les autres ont beaucoup aimé l’endroit et ont pu rencontrer Daet et Konkea. Histoire : dans le bar à un moment je discute avec un français qui a monté un business de produits de spa ( !), on se découvre une connaissance commune et lui me parle du mec de la connaissance commune, Sylvain, avec qui il a fait de la moto le week-end dernier. Deux heures plus tard (après l’épisode des happy pizzas) nous retrouvons une amie de Thomas rencontrée au Vietnam il y a trois ans et qui travaille maintenant à l’ambassade du Cambodge. Elle est accompagnée de deux types dont l’un s’appelle Sylvain. Je me dis bon ben demandons c’est si petit ici, je demande et il se révèle que le dit Sylvain est bien celui qui a fait de la moto le week-end dernier. Le lendemain à l’expo de Veasna (vraie orthographe) je le croise à nouveau…

Entre la soirée de vendredi où on a terminé avec Thomas dans une boite cambodgienne pour célébrer le vernissage de l’expo de Veasna avec une partie de ses artistes et la soirée de dimanche où Soratha m’a incrusté à la fête –barbecue et danses khmères - de départ de leur prof, j’ai honoré samedi l’invitation de J. l’australienne à une soirée chez elle comme je n’en avais à vrai dire jamais faite, où il s’agissait de disserter pendant presque deux heures sur le concept du bonheur (happiness), citations préparées et collées sur papier de couleur à la clé, objets apportés par chaque participant (on était 8) et surtout terrasse dernier étage, bougies et fruits de saison prédécoupés. Je ne sais pas si mon idée du bonheur dont la conscience n’existe pas dans le temps du présent et qui n’existe donc pas dans le temps présent mais uniquement dans un souvenir post-idéalisé, ce qui selon son humeur du jour peut faire penser qu’il n’est qu’une création de l’esprit ou qu’au contraire rien n’est plus important que d’œuvrer à la naissance de souvenirs heureux (et du même coup malheureux car terminés), bref je ne sais pas si cette idée a eu du succès mais ce qui est cool c’est que pour illustrer mon propos j’ai pu montrer l’extrait de 2046 avec l’histoire des robots à émotions différées.

mercredi 8 avril 2009

photos de mon ancien appart



Maria Timophéïevna

Il y a à peu près un mois me promenant dans le grand centre commercial à côté de chez moi pour passer le temps une fille vient me parler, habillée en haillons je ne me fais aucun doute sur sa condition de mendiante, je ne comprends pas trop ce qu’elle me dit, elle sort un cadre avec la photo d’une dame qu’elle insiste pour me donner, évidemment je refuse en sachant bien qu’elle me demandera ensuite de l’argent, puis même cirque avec une sorte de journal plié, je refuse encore et commence à être gêné, moi qui voulais juste m’asseoir comme tout le monde au dernier étage de l’immeuble regarder les jeunes enfermés dans une grande cage qui font du roller sur de la musique techno. Mais son manège devient quelque peu étrange, elle se poste un peu loin de moi et me tend le cadre photo comme pour me dire regarde la fille de la photo te regarde et te dit quelque chose. Je finis par partir et descends à l’étage en dessous à la salle de jeu vidéo. Je regarde quel est le niveau à Tekken ou à Street Fighter ici quand quelqu’un me touche le bras, je me retourne et me rends compte que la fille m’a suivi et essaie de me parler. Ce qui est marrant c’est qu’elle est un peu timide et qu’à chaque fois que je lui parle elle baisse la tête en pouffant. Elle est tout petite et physiquement assez affreuse, mais je ne suis plus trop effrayé tant il est clair qu’elle ne me veut aucun mal et qu’elle est juste un peu étrange. Nous restons donc côté à côté assez longtemps, elle attirant de temps à autre mon attention en me montrant des gens du doigt ou en ressortant sa photo, et c’est surtout les clients et les hôtesses qui commencent à se demander que font cette folle j’imagine connue de tous et ce japonais ensemble (tout le monde pense à première vue au Japon ou à la Corée, je ne me demande plus pourquoi). Je finis par m’éclipser à l’étage encore en dessous pour manger une soupe au porc, me retourne plusieurs fois pour être sûr mais c’est bon cette fois je l’ai semée.

Quelques semaines plus tard attendant dans une rue d’un autre quartier un cambodgien à qui on a donné mon numéro car il veut tenter un master à l’essec je recroise cette fille, toujours en haillons. J’essaie de discuter avec elle mais celle-ci pouffe toujours de timidité et je ne comprends pas bien ce qu’elle me raconte. Le dit cambodgien finit par arriver et je dis au revoir à la fille. Là encore les gens autour (principalement des jeunes de l’école des street kids car on était juste devant) nous regardent bizarrement, signe qu’ils la connaissent aussi très bien.

Il y a quelques jours prenant un verre avec Thomas, Amandine et Stéphanie venus faire un tour au Cambodge avant de retourner au Vietnam où ils travaillent je la retrouve encore, cette fois-ci de nuit et dans la rue des bars à expats. Je me lève et vais lui parler, elle est moins timide mais je ne comprends toujours pas ce qu’elle me dit car elle baisse la tête quand elle me parle. Très vite on est entouré de tous les enfants qui dans cette rue vendent des livres en pleurant aux touristes venus manger des happy pizzas (pizzas au cannabis, j’en avais goûté la veille avec Thomas car on m’en a beaucoup parlé mais pas d’effet je n’ai pas dû en manger assez, sans doute la jurisprudence marie), les filles sont les plus téméraires qui engagent la discussion avec moi et on parle, l’étrange fille, les enfants et moi une dizaine de minutes dans la rue, du reste je suis content de connaître les enfants ça me donnera un motif de satisfaction quand je devrai me rendre dans cette rue dont je ne suis pas ultra fan. C’est l’anniversaire de la fille le lendemain (je n’arrive pas à comprendre son prénom), elle aura 19 ans, pour l’occasion elle m’offre une carte dépliante happy birthday que cette fois-ci j’accepte, sans lui donner d’argent, j’espère qu’elle n’en attendait pas mais je crois que non, elle doit être considérée comme la folle de Phnom Penh car là aussi tous les enfants semblent la connaître, se moquent d’elle en l’affublant d’un surnom que je n’ai pas compris quand je lui ai demandé son prénom, et j’en ai même vu certains s’amuser à la frapper.

dimanche 5 avril 2009

Le dernier plan de la fille de Monaco

En rentrant de ma troisième visite en une semaine chez le docteur – mon oreille que je croyais guérie me fait à nouveau des misères – et après avoir mangé les dernières saucisses que ma tante m’avait achetées en grand nombre et mis dans le congel mais c’était sans compter sur la panne d’électricité d’il y a une semaine, j’ai fait ce que le docteur Poly m’a dit : je me suis mis 3 gouttes dans l’oreille puis ai attendu 10 minutes la tête penchée. Pas grand-chose à faire dans cette position-là à part lire ; c’est ce que j’ai fait en reprenant Les démons dont j’arrive bientôt au terme. Les retrouvailles de Chatov et de sa femme, trois ans après leur séparation, l’accouchement de celle-ci alors qu’on sait ce qui attend Chatov et que le narrateur par plusieurs indices ne laisse aucune place au suspense, c’est peut-être ce que j’ai lu de plus beau dans ce roman, ça plus la musique d’Elliott Smith que j’entends à travers la vitre fermée me laissent encore dans une humeur cotonneuse, entre mélancolie et euphorie, du reste ça va souvent de paire pour moi, être triste me rappelle que je suis vivant. Je me suis rappelé un rêve que j’ai fait il y a quelques jours, à moins que ça ne soit qu’une pensée je ne sais plus, je me suis rappelé aussi ton dernier mail Sabri sur la photo etc., j’ai pensé à mars 2005 je me suis dit ça fait 4 ans je me suis dit aussi mais tu es fou tu connais tous les mécanismes de ces artifices là, ou tous les artifices de ces mécanismes, tu sais que c’est par purs idéalisme et romantisme que tu t’accroches à cette image, que tu persistes à y croire alors que ton cerveau sait qu’il ne s’agit que d’un fantasme de l’esprit, et qu’importe pensais-je alors, laisse-moi avec ce petit picotement au cœur que j’ai appris à aimer pour lui-même, j’ai aussi eu l’idée d’un court film puis je me suis rappelé la scène dans the taste of tea avec le cousin après sa longue marche. C’est marrant me disais-je encore en arrivant vers l’ordinateur ces journées sous le signe de l’affect, car ce matin préparant le cours de ce week-end je regardais des scènes de We own the night, le début sur Blondie, la première scène avec le frère et le père à l’église, la visite de Bobby après l’attentat sur son frère et surtout après quand il tombe à genoux devant Amada, la scène dans l’ambulance entre Bobby et son père, la mort du père, j’ai pleuré plusieurs fois je crois, rien que deux minutes pour pleurer (ça m’était arrivé récemment en regardant Catch me if you can en accéléré), le film déjà vu étant alors peut-être encore plus fort car il ne s’agit plus que du souvenir d’une émotion, la mélancolie d’une tristesse - on avait peut-être trop vite fait de dire que Two lovers était encore mieux car dégraissé de la cosmétique mafieuse, car celle-ci comme chez Coppola permet une précipitation des grands thèmes universels et donc là encore une matière à affects sans égale.

(j’ai acheté Twilight, We own the night, Lady in the water, Material Girsl, Pulp Fiction et surtout l’intégrale Rohmer et l’intégrale Godard pour un total de 21 dollars – je vous rassure c’est des dvds piratés)

(je me sens presque prêt à arrêter de passer trop de temps à l’écriture de ces billets pour me mettre à bosser nuits et jours sur le scénario d’eternal feelings part 3. Serait-ce l’influence de mes élèves qui commencent à écrire le scénario du film collectif ? Ca serait marrant. Deux séquences écrites pour l’instant, ça part sur du film de campus mélangé à une enquête policière avec des blagues salaces, je m’attendais pas trop à ça mais tant mieux voyons demain ce qu’il en feront)

samedi 4 avril 2009

Les murs sont jaunes pâles maintenant

Hier quand ma tante m’a posé la question il était clair que ma réponse valait engagement et aurait peut-être des conséquences. Et, malgré le fait que je me l’étais déjà posée depuis quelques jours et qu’il était évident que oui, il fallait que je déménage à l’appartement du dessous, car 1 il est libre contrairement à ce qu’on m’avait dit à la signature, 2 il est beaucoup mieux que le mien car il résout tous ses problèmes (bruit, luminosité, plus grande imperméabilité aux insectes et fourmis) et 3 tous mes amis cambodgiens m’ont dit que 200 dollars c’était beaucoup trop pour le mien, malgré tout ça j’ai hésité à répondre, j’ai tourné autour du pot et essayé de gagner du temps avant de capituler.

Et en effet ma réponse a eu des conséquences car ce matin le proprio, l’amie de ma tante et un autre type se sont pointés pour m’aider à débarrasser toutes mes affaires à l’étage en dessous, le frigo le lit les tables tout, et après l’autre type a même passé la serpillère dans tout l’appart (oui rappelez-vous, la poussière). En moins d’une heure j’avais déménagé. Et pendant ces presque soixante minutes, le même sentiment à l’origine de mon hésitation de la veille, la même légère tristesse, la même légère peur ; c’est que je m’y étais habitué à cet appartement, sa salle de bain qui donnait sur le toit où des garçons venaient une fois par semaine piler des cannettes, le grand salon avec son carrelage orange, ma chambre aux demi-murs, les innombrables insectes qui s’invitaient chaque soir à venir regarder le même film que moi en se collant à l’écran de mon ordinateur. Avais-je vraiment raison de vouloir l’appart du deuxième, avec son plus petit salon et sa salle de bain fermée ? Evidemment dès que je me suis retrouvé seul à réfléchir à la nouvelle disposition des meubles toutes mes craintes se sont envolées au profit d’une euphorie pas tant liée aux avantages de cet appartement qu’au simple principe de nouveauté. Et ne l’ai-je pas goûté tant de fois, cet enchaînement d’humeurs, et ne l’avez-vous pas goûté tant de fois, cette angoisse toute bourgeoise de quitter un terrain connu, et la griserie immédiate de la nouveauté une fois celle-ci décidée ? Je ne parle évidemment pas que d’immobilier.